Le Droit au coeur de la Présidentielle
Le Droit au cœur de la Présidentielle

PROPOSITIONS DE L’AFJE POUR L’ELECTION PRESIDENTIELLE DE 2022

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Le droit est au cœur de l’élection présidentielle. 

 

Ce n’est pas l’expression d’un vœu mais d’ores et déjà une réalité. Le droit sera l’un des enjeux fort des 5 années à venir. C’est pourquoi, l’AFJE a choisi de rendre publique 5 idées pour 5 ans. 

 

L’intense révolution industrielle en cours fondée sur la transformation numérique et la transition écologique. Elle bouleverse les rapports sociaux, économiques, démocratiques et géopolitiques. Elle pose la question des droits des générations futures. Comme souvent dans ces moments de profonds changements, le droit peut alors jouer un rôle clé pour redéfinir les équilibres et harmoniser les situations. Alors qu’en France nous vivons dans une tradition légicentriste, il faut rappeler que le droit ce n’est pas que la loi. Ce sont aussi les principes constitutionnels, le contrat, les traités internationaux, la jurisprudence, le droit souple, et demain peut-être du droit embarqué dans des algorithmes. Les changements qu’impliquent la révolution industrielle en cours obligent à appréhender le droit dans toutes ses dimensions pour anticiper et s’adapter constamment.

 

Les entreprises et leurs juristes sont au premier rang de cette révolution industrielle. Entreprises et juristes jouent et vont à jouer un rôle de plus en plus important dans la société et dans l’économie. On le voit déjà avec les transferts que l’Etat opère quant à la mise en œuvre de l’intérêt général. S’ensuit une hybridation du droit avec des normes privées qui enrichissent ou complètent les normes publiques. Le droit de la conformité y compris la protection des données personnelles, la RSE, le devoir de vigilance, les critères ESG en sont quelques-unes des illustrations évidentes. Les acteurs économiques, privés et publics, sont désormais des sources du droit. Ils le seront de plus en plus car la société sera attentive à leurs actions en faveur des droits des générations futures

 

Dès lors, notre profession occupe, à cet égard, une place stratégique dans la vie de la cité, dans l’entreprise et dans la mise en œuvre de l’intérêt général. Elle est d’ailleurs une profession en pleine croissance qui avec les autres acteurs du droit représente un réel poids dans notre modèle économique et social. Ainsi, il y a actuellement 20 000 juristes d’entreprise (dont 7 000 sont membres de l’AFJE). Si l’on considère tous les professionnels du droit, on en dénombre 361 213 soit 1,25 % de la population active. Le chiffre d’affaires des professionnels du droit est de 44,8 milliards d’euros soit 1,8 % du PIB. Les entreprises disposent aujourd’hui en moyenne de 10 juristes par milliard de chiffre d’affaires, contre 7 en 2013[2]. Aujourd’hui, trois sur quatre des juristes d’entreprise sont membres des Comex.

 

De fait, le droit est déjà dans le débat présidentiel mais il a été invité pour des mauvaises raisons qu’il faut combattre : des vents mauvais soufflent de nouveau et l’on voit l’Etat de droit, les principes constitutionnels républicains mis en cause par certains. La tentation « illibérale » existe aussi en France et le droit est une des réponses pour l’empêcher.

Aussi, il est de notre devoir de défendre une vision ambitieuse et moderne du droit français, loin de toute logique de politique partisane ou corporatiste ; un droit créatif et protecteur.

Aujourd’hui plus que jamais, c’est une nécessité.

D’abord, parce que le droit est un outil indispensable pour la cohésion de la Nation. Sans Etat de droit fort et respecté, il est vain de prétendre à la promesse de notre devise républicaine. Nos concitoyens y sont attentifs ; ils l’exigent. Au-delà, l’éthique des affaires, la responsabilité sociale des entreprises, la conformité à la règle et à la norme sont des préoccupations constantes des juristes français. Ils y œuvrent constamment dans le quotidien de leur exercice professionnel. Le droit français doit les aider dans cette tâche.

Ensuite, la compétitivité de notre économie, de nos entreprises - en plein Brexit et alors que la globalisation ouvre des nouveaux champs de frictions et risque de connaître les replis du protectionnisme - exige que le droit et le système juridique français placent nos opérateurs économiques au moins sur un pied d’égalité avec leurs concurrents. Le droit français a joué un rôle majeur dans la construction européenne ; il doit demeurer une référence alors que l’UE aborde un moment singulier de son histoire et que la France prend la présidence tournante de celle-ci au 1er janvier 2022. 


Enfin, l’attractivité du droit français est indéniablement un moyen de renforcer l’attractivité de notre pays pour les investisseurs. La capacité de la France à peser en Europe et dans le monde passe aussi par un droit favorisant l’innovation et la croissance en même temps que la sécurité juridique et la protection de l’ensemble des parties prenantes

 

Les propositions qui suivent ne sont pas exhaustives, mais elles peuvent contribuer à la réalisation de ces objectifs. Elles sont ouvertes à la discussion. 

 

Cette plateforme sera présentée à chaque candidat à l’élection présidentielle et nous leur demanderons de prendre un engagement clair et précis sur ces sujets.

 

5 idées pour 5 ans

 

  1. La compétitivité du droit français
  2. Pour un code européen des affaires
  3. L’attractivité du droit français : une fabrique moderne de la loi
  4. Un service public de la justice ambitieux
  5. Le Droit au cœur de la République

 

1 – Compétitivité du droit français : Protéger la confidentialité des avis juridiques internes dans les entreprises françaises.

C’est une mesure importante et facile à mettre en œuvre immédiatement pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises et l’attractivité de notre droit dans la mondialisation. Rendre confidentiels les avis des juristes d’entreprise[3], proposition encore présente dans le Rapport du député Raphaël Gauvain[4]. Cette évolution attendue par le monde économique aura pour conséquence de placer les entreprises françaises sur un pied d’égalité avec leurs concurrentes. En effet, la très grande majorité des juristes d’entreprise dans le monde bénéficient de cette garantie pour leurs avis juridiques, comme celle qui existe pour les avis donnés par les avocats externes mais qui en France ne s’étend pas aux avis internes, ce qui pénalise gravement l’activité et les échanges souvent sensibles au sein des acteurs économiques dans un monde où le droit a une place de plus en plus sensible, notamment dans la concurrence de l’économie globalisée. C’est aussi un moyen requis pour que la mise en œuvre des programmes de conformité prévus par la loi Sapin II, programmes de lutte contre la corruption et les pratiques contraires à l’éthique et aux droits fondamentaux, puissent être pleinement efficaces. Une telle décision, facile à prendre, sans aucun coût pour les finances publiquesprotégera l’emploi et la compétitivité du droit français en évitant que des entreprises étrangères considèrent demain cet élément pour installer leur siège européen ou direction juridique ou générale ailleurs qu’en France et que les entreprises françaises elles-mêmes ne cherchent dans l’implantation de leur direction juridique et générale à l’étranger une protection légitime que le droit français leur refuse. Ces délocalisations des fonctions juridiques favorisent ensuite l’appel aux cabinets étrangers des pays où se trouvent ces directions, et donc l’utilisation du droit étranger, le recours aux juridictions étrangères, et à l’emploi de juristes internes de formation étrangère le tout au détriment de la filière juridique française. [5]

Enfin, ce sera la première pierre vers la grande profession du droit désirée par tous ceux tournés vers l’avenir des jeunes juristes et avocats pour que les professionnels du droit pensent davantage à former un front uni - comme le font les professionnels anglais - pour défendre leur place plutôt que de se perdre dans de vaines et paralysantes querelles corporatistes. 

Nous soutenons l’idée d’un Droit européen de la compliance comme suggéré par le rapport de M. Bernard Cazeneuve pour le Club des Juristes[6]La dimension internationale des enjeux de conformité appelle une réponse forte de l’Europe avec l’affirmation d’un véritable bloc européen de conformité afin de garantir un véritable level playing field. La critique faite à l’utilisation extraterritoriale de la législation américaine doit déboucher sur la mise en œuvre de standards européens élevés afin de contrebalancer le leadership . Ainsi que le souligne l’ancien Premier Ministre dans son rapport « c’est là l’une des conditions du rééquilibrage de la relation euro-atlantique ».

Nous suggérons aussi de créer une fonction d’Ambassadeur à la diplomatie juridique : il s’agirait à l’instar de l’Ambassadeur à la diplomatie numérique de développer les réseaux de l’intelligence juridique pour considérer le droit comme un outil stratégique et diffuser la culture juridique française sur un plan géopolitique et économique.

 

2. Pour un code européen des affaires

Dans le Traité franco-allemand d’Aix la Chapelle, signé en 2019, l’idée est en germe. Il ne faut plus attendre et la France pourrait profiter de la présidence de l’Union Européenne pour engager un mouvement déterminant. Lever les barrières juridiques inutiles ouvrirait aux 23 millions d’entreprises des 27 Etats membres de contribuer encore plus à la croissance de notre continent et de faire émerger des écosystèmes propres à renforcer la souveraineté européenne.

Au-delà des régulations sectorielles dont l’Europe n’est pas avare, l'idée d'un droit des affaires unifié entre les 27 Etats membres de l’Union Européenne s’impose comme une évidence pour que le grand marché intérieur puisse permettre aux entreprises, quelle que soit leur taille, de bénéficier d’un droit simplifié, prévisible et lisible. C’est également un facteur d’attractivité pour les acteurs des autres continents.

Dans une logique de coopération renforcée, la France et l'Allemagne avec les autres Etats membres souhaitant s’y associer, travailleraient à l’harmonisation progressive d’un nombre croissant d'outils juridiques communs, lesquels demeureraient optionnels pour les entreprises. Bien sûr, il s’agirait d’avoir une approche pragmatique et de ne s’attacher qu’aux sujets susceptibles de recueillir un consensus rapide. Ainsi, par exemple, en écho au rapport du Haut Comité juridique de la place financière de Paris de mars 2021, il pourrait s'agir de faire émerger le statut d'une société européenne simplifiée, afin d'offrir aux entrepreneurs une sécurité juridique et un moindre coût dans leur développement. 

L’AFJE s’engagera sans le prolongement des différents acteurs déjà convaincus de ce projet.

 

3 - Attractivité de la France : moderniser la fabrique du droit français

Simplifier, fluidifier, innover : quelques pistes pour en finir avec cette maladie de l’obésité réglementaire et législative, de l’insécurité juridique et fiscale, maintes fois diagnostiquée et toujours pas guérie. Pourtant, les armoires sont pleines de rapports qui la pointe. Dès lors qu’un consensus existe, il faut le traduire en droit. Dans une société qui exige protection et innovation, il faut une réforme institutionnelle[7] qui favorise le mouvement de simplification et de dynamisation du droit garantissant les principes de sécurité juridique et de confiance légitime. C’est un enjeu crucial pour l’attractivité de notre droit et de notre économie.

Ainsi, la rétroactivité des lois fiscales doit être davantage encadrée plus strictement empêchant toute disposition fiscale défavorable au contribuable – personne physique ou personne morale - sauf à clarifier une situation juridique trouble ou confuse, à annuler des situations juridiques caduques ou à satisfaire des motifs impérieux d’intérêt général sous réserve d’un contrôle de proportionnalité par le juge. 

Par ailleurs, il convient de renforcer la qualité et les conséquences institutionnelles des études d’impact et des évaluations ex-post dans le cadre de la procédure législative et de l’exercice du pouvoir réglementaire. Il conviendrait, en particulier, que les études d’impact comprennent pour tout texte à portée économique et sociale, une appréciation précise des conséquences du projet, de la proposition de loi ou du texte réglementaire au regard de l’attractivité du droit et de la compétitivité de notre économie, y compris s’agissant de l’harmonisation européenne. 

Une consultation préalable des professionnels compétents et en particulier des organisations représentatives des juristes d’entreprise serait évidemment une étape préalable. A cet égard, l’AFJE est prête à travailler au développement d’un indice d’attractivité à inclure dans lesdites études d’impact

De même, il apparait indispensable de prévenir l’instabilité législative en prévoyant un mécanisme prévenant la modification directement ou indirectement d’une même règle ou d’un même régime juridique plus d’une fois au cours d’une même législature. Pour surmonter cette limite, il faudrait que le législateur - ou le pouvoir réglementaire selon la nature du texte - démontre dans le cadre de l’étude d’impact préalable obligatoire une justification impérieuse (ex : malfaçon manifeste, urgence, contradiction avec le droit européen…) après avis du Conseil d’Etat. Dans l’hypothèse d’une analyse positive, la modification devrait alors être restreinte au motif la justifiant. Cela devrait s’appliquer, encore une fois, tant aux projets qu’aux propositions de loi ou textes réglementaires. 

 Ensuite, il serait novateur de faire entrer les citoyens dans la fabrique de la loi via, par exemple, une désignation par tirage au sort sur les listes électorales de 50 citoyens appelés ainsi à siéger au Sénat pour une période de 3 ans aux côtés des sénateurs élus. Cette formule que nous avions déjà proposée en 2017 est distincte du modèle des « conférences de citoyens » dont le rôle a été fortement discuté dans la mesure où il a créé des conflits de légitimité inutiles. Il ne s’agirait pas de concurrencer la démocratie représentative mais de la consolider aux yeux des citoyens.

Enfin, le droit à l’expérimentation permis par l’article 37-1 de la Constitution doit être davantage utilisé de manière à établir les régulations nécessaires tout en favorisant l’innovation. Ce peut être particulièrement utile dans les secteurs liés à la transition écologique, la transformation numérique ou bien encore pour permettre aux territoires et à leurs écosystèmes de porter des projets innovants. Bien sûr le principe d’égalité et les principes fondamentaux de notre droit devraient être respectés en toute circonstance. Ce pourrait être un moyen de faciliter les approches multi-parties prenantes pour aborder des questions nouvelles.

 

4 – Un ambitieux service public de la Justice 

L’indépendance et l’efficacité de l’institution judiciaire sont clés dans un Etat de droit. Ce sont également des éléments de mesure du rang accordé au droit dans la société. En outre, une justice de qualité favorise l’attractivité d’une place juridique. A cet instant, tout le monde mesure que les problèmes de l’institution judiciaire trouvent aussi des causes en amont dans la fabrique du droit qui crée instabilité, illisibilité et perte du sens et de la force de la norme.  

L’indépendance de la Justice doit être définitivement garantie par le vote d’une loi constitutionnelle alignant les conditions de nominations des membres du parquet sur celles des juges du siège[8](au moins avis conforme du CSM). A l’instar de toutes réformes difficiles, cela doit être engagé dès le début du prochain quinquennat au risque sinon de s’enliser dans les querelles politiciennes.

L’efficacité du service public de la justice suppose aussi que celui-ci soit une priorité budgétaire. Si des efforts ont été engagés récemment, il n’en demeure pas moins qu’au terme de la prochaine mandature, il faudra avoir rattrapé la moyenne européenne de 21,4 juges / 100 000 habitants alors qu’en France, on dénombre seulement 10,9 juges / 100 000 habitants. Un vaste plan de recrutement doit permettre d’atteindre la moyenne européenne en 2027. Cet effort vaut aussi pour les greffiers.

 

Pendant l’intervalle de temps nécessaire à former les professionnels supplémentaires avec la même exigence professionnelle, il conviendra de lancer à titre provisoire un plan de mobilisation des professions juridiques et des universités pour assurer des vacations sur des tâches au périmètre à préciser selon des modalités à définir.

 

L’attractivité passe par la reconnaissance sociale de la fonction de juger. C’est notamment vrai pour le juge civiliste, le plus proche du justiciable et le plus généraliste. Son rôle est donc fondamental au quotidien dans la perception que les justiciables ont de la Justice de l’Etat.

 

A cet égard, il serait vain d’espérer attirer les meilleurs talents sans une revalorisation significative de la rémunération des magistrats et greffiers. En parallèle, il faut renforcer les moyens matériels afin de montrer, au-delà de la recherche d’efficacité, la fonction éminente de la justice (moyens logistiques, informatiques, personnels, rénovation des locaux).

 

Il serait pertinent d’engager une réflexion sur le plan de carrière des magistrats avec des passerelles vers d’autres métiers du droit. L’AFJE a notamment créé la première formation interprofessionnelle magistrats / avocats / Juristes d’entreprises (« MAJE ») pour créer un vivier de talents croisés. Une perspective d’évolution profonde à étudier pourrait être de rendre l’accès à la fonction de magistrat à la condition préalable de l’exercice d’une autre profession du droit (avocat, juriste d’entreprise, notaire) pendant au moins 3 ans. 


Par ailleurs, une part importante de la justice économique se traite dans le cadre de la justice commerciale consulaire. Il est urgent de doter celle-ci également des moyens adaptés à ses missions pour qu’elle soit plus performante et attractive au bénéfice de l’écosystème des entrepreneurs. A l’instar de mécanismes similaires, tels ceux existants pour les élus, devrait être instauré un crédit d’heures annuels pour que les juristes d’entreprises puissent se former et exercer le mandat de juge consulaire. A cet égard, il importe de renforcer l’expérience de terrain de ces juges par un effort de formation continue.

 

Nous suggérons de renforcer l’office du Tribunal de Commerce en le renommant « tribunal des affaires économiques » (voir Rapport Richelme) et en renforçant son rôle et moyens en se concentrant sur les points de progression suivants :

 

  1. En faire un interlocuteur naturel du chef d’entreprise. Il faut inciter le chef d’entreprise à saisir en amont le tribunal de commerce par des campagnes de communication.

 

  1. Améliorer la connaissance des mécanismes de prévention des difficultés par les entreprises avec le soutien du réseau de l’AFJE.

 

  1. Enrichir le recrutement des magistrats consulaires en mettant en place une filière dédiée permettant d’intégrer davantage de juristes d’entreprise.

 

Le développement de la numérisation de la justice grâce aux potentialités du numérique, doit être une priorité pour faciliter l’accès au droit pour tous les justiciables dont les PME, rétablissant ainsi une égalité entre les territoires, et pour réduire les délais de traitement des affaires tout en réduisant les coûts pour le budget de l’Etat : dématérialisation des procédures, règlement des petits litiges en ligne, création d’un portail unique pour l’ensemble des juridictions

 

En parallèle, il convient de développer les modes alternatifs de règlements des conflits dont la médiation. Déjà présent dans notre droit, il s’agit d’en faire un moyen renouvelé de gestion de la vie économique. Le recours à des procédures de médiation en ligne pour les petits litiges commerciaux doit être envisagé : le développement d’une plateforme dédiée doit être imaginée avec les barreaux locaux, les représentants des juristes et les universités.

 

Recourir au digital chaque fois que possible, par exemple :

 

  • Mettre en place une procédure numérisée pour les litiges < 10 000 € avec une plate-forme digitale en ligne (filtrage, enregistrement, enrôlement automatique) depuis la saisine des échanges jusqu’à la décision du juge ;

 

  • Pour les contentieux complexes avec représentation obligatoirecréer une plateforme nationale permettant une procédure mixte avec gestion des délais automatisée, sous le contrôle d'un greffier avec possibilité d'une audience physique de plaidoirie ;

 

Objectiver les délais, avec :

 

  • Un engagement d’audiencement à délai raisonnable à adapter en fonction du « stock » d’affaires en corrélation avec le plan de mobilisation mentionné ci-dessus ;

 

  • Limiter le nombre de renvois possibles ; 

 

Réformer les procédures devant les cours d'appel et la Cour de cassation. Cette dernière ne devrait statuer que sur des questions nouvelles de droit ou en cas de discordance de jurisprudence, et avoir la possibilité de s'autosaisir de toute question d'interprétation.

 

Développer des modes alternatifs de règlements, d’abord pour réduire le stock des contentieux les moins conséquents. Ce faisant, si l’expérience s’avère satisfaisante, envisager de pérenniser cette approche complémentaire.

 

5 -   Le droit au centre de la République 

La nécessité de penser le futur de nos professions apparait à tous les acteurs du droit. Le rapport Haeri l’avait bien montré. Les représentants des juristes d’entreprises, avocats, magistrats, greffiers, universitaires doivent se réunir dès septembre 2022 pour proposer une loi de programmation des professions du droit. Cette réunion devra aborder la question de la formation initiale et continue pour rendre possible les passerelles tout au long des carrières et donc la création de la grande profession du droit. Elle doit favoriser l’insertion et la mobilité tout au long de la carrière des étudiants en rapprochant l’université de l’entreprise, accroitre l’apprentissage dans la filière droit et sensibiliser le corps enseignant à la réalité du droit dans l’entreprise en y incluant des formations au management et à la communication. Il est essentiel de former les juristes au digital afin d’anticiper la transition numérique des métiers du droit dès l’Université. Renforcer la capacité des étudiants français en droit dans leur capacité linguistique et leur compréhension interculturelle en rendant obligatoire, à l’instar de Science Po ou des écoles de commerce, des stages à l’étranger dès la 2ème année et, en tout état de cause, au moins avant le Master 2. Cela signifie une organisation renforcée des universités autour de leurs missions de partenariat avec le monde économique et donc d’insertion des étudiants.  D’une façon générale, il sera nécessaire que les universités s’ouvrent davantage encore à l’international tant en ce qui concerne les enseignants que les étudiants. Le développement de MOOC, la disponibilité en ligne des cours et des travaux de recherche notamment dans leur traduction en anglais… sont également indispensables au rayonnement du droit français. 

 

Les études universitaires de droit doivent intégrer des enseignements :

  1. de codage informatique et d’intelligence artificielle non pas pour que les juristes deviennent tous des développeurs ou ingénieurs mais pour qu’ils soient capables de comprendre et d’appréhender le fonctionnement et la logique des algorithmes. Pour dialoguer avec la machine (Legaltech, justice prédictive…), pour être capable d’interpréter les résultats, il est impératif de maîtriser les rudiments du langage numérique.
  2. de déontologie générale dès le Master 1 pour solidifier le socle commun à tous les professionnels du droit. L’éthique est au cœur du métier de juriste.

 

Enfin, cette conférence devra aborder la question de l’égalité et de la diversité non seulement en termes de genre mais aussi d’origine sociale et géographique. La lutte contre l’inégalité des salaires hommes/femmes demeure notamment une réalité inacceptable. Ainsi dans une profession à 67% féminine, on constate un écart de salaire compris entre 7 et 14 % à fonction égale pouvant atteindre jusqu'à 26 % pour les plus de 45 ans. Il est impératif que des solutions opérationnelles soient décidéesS’agissant des juristes d’entreprise, des progrès demeurent nécessaires. Deux juristes sur 3 sont des femmes : en 10 ans, la proportion de femmes dans la profession de juriste d’entreprise a nettement progressé. En 2008, les juristes étaient composés de 56% de femmes contre 44% d’hommes ; désormais, elles représentent 68% de la population des juristes d’entreprise en 2019 (+12 points en 10 ans). En 2019, les jeunes juristes de moins de 30 ans sont des femmes à plus de 81%. Elles étaient 71% en 2008 (+10 points en 10 ans). Toutefois, sur l’ensemble de la population des juristes, l’analyse par genre montre qu’il existe encore des disparités entre les salaires hommes et femmes. Selon les chiffres de 2019, les écarts de salaires entre les hommes et les femmes sont compris entre 10% et 14%, selon le niveau de fonction et toutes anciennetés confondues. Une situation apparemment sans réel changement entre l’étude de 2015 et celle de 2019. Il semble néanmoins que les nouvelles embauches révèlent une meilleure égalité de rémunération entre les sexes[9]. Les chartes de responsabilité sociale adoptées par les entreprises et les réglementations successives depuis la loi relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ont amélioré les écarts de salaires des juristes hommes et femmes en une quarantaine d’années. 


Mais toutes ces réformes ne porteront leurs fruits que si on parvient à replacer le droit au cœur de la République. A cet égard, il nous paraît urgent de renforcer l’éducation au droit dès le plus jeune âge. Celle-ci doit devenir une priorité nationale. Une mobilisation générale doit être envisagée sans tarder pour que le droit soit le bien de toutes et tous et pas seulement la chose des experts.


D’abord, il convient dès le stade de l’enseignement scolaire de renforcer dans le cadre de l’éducation civique à l’école primaire, au collège et au lycée, la part de la compréhension de la grammaire et du langage du droit y compris les grands principes comme la présomption d’innocence. Une épreuve obligatoire juridique devrait être intégrée dans toutes les filières du baccalauréat. Toute personne accédant au statut de citoyen à sa majorité doit connaître les fondamentaux du droit et de l’organisation judiciaire et démocratique. 

 

A cet égard, il est certain que la place prise par les réseaux sociaux et les écrans dans la vie de tout un chacun montre que le droit doit être un élément central du vivre ensemble. On pense ici en particulier à l’importance du principe de dignité humaine et de la laïcité[10].

 

Ensuite, des modules gratuits de formation pourraient également être organisés pour tout citoyen déjà majeur qui le souhaite. Une collaboration entre les collectivités locales et les professionnels du droit dont les juristes d’entreprise doit être conçue pour le rendre possible rapidement et sur le long terme. Les étudiants des universités de droit, ainsi que les organisations professionnelles des métiers du droit pourraient bénévolement participer à cette mobilisation nationale. L’AFJE y est prête.



 

   


 

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[2] Voir l’étude du Professeur Bruno Deffains, 2021, AFJE – Cercle Montesquieu

[3] On rappellera l’existence du Code de Déontologie des juristes d’entreprise publié par l’AFJE et faisant l’objet de formations.

[4] Cette recommandation a déjà été faite dans de nombreux autres rapports dont ceux de Maître Jean-Michel Darrois puis de Monsieur Michel Prada ou encore de Maître Kami Haeri et s’inscrit dans la droite ligne de ces travaux démontrant un consensus constant de la part de ceux qui réfléchissent à la modernisation de notre pratique du droit en France mais qui se heurtent tout aussi constamment au conservatisme persistant des instances représentatives de la profession d’avocat et plus particulièrement du CNB et de la Conférence des bâtonniers au détriment du futur des jeunes professionnels et du rayonnement et de la force du droit français.

[5] Les récents débats sur le secret professionnel des avocats ont montré que la fragmentation des professions affaiblissait leur poids réel dans le champ politique.

[6] Pour un droit européen de la compliance, Le Club des Juristes, novembre 2020.

[7] Les mesures proposées ici relèvent soit de la Constitution soit de la loi ordinaire ou organique.

[9] En 2019, pour un premier emploi de juriste avec une expérience de moins d’un an, le salaire moyen à l’embauche d’un juriste est de 36 360 € pour une femme, et de 36 100 € pour un homme.

[10] On relèvera l’excellent travail fait par l’association Respect Zone.

 


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