Et si vous contribuiez à la fabrique du droit ?
Collaborer avec les instances publiques pour préparer les fondements d’une nouvelle norme juridique n’est pas l’apanage des affaires publiques. Les juristes d’entreprise ont aussi leur carte à jouer. Et, si d’aventure, les affaires publiques vous tentent, sachez que c’est une voie professionnelle que vous pouvez envisager.
Par Carine Guicheteau
Participer activement à la fabrique du droit national et européen est l’une des ambitions de l’AFJE. Pour faire reconnaître la confidentialité des avis aux juristes d’entreprise mais aussi pour rendre le droit plus compétitif, comme lors de la réforme des contrats. Que ce soit de manière proactive ou en réponse à une sollicitation gouvernementale, l’AFJE, au travers de son conseil d’administration, de son président et, plus largement, de tous les membres de bonnes volontés, met régulièrement à disposition son expertise et son expérience.
« Influer sur la fabrique du droit en amont est difficile, reconnaît Philippe Mettoux, directeur juridique du groupe SNCF. Les instances représentatives, comme l’AFJE, ont un rôle à jouer et une légitimité pour défendre les intérêts de la profession et des entreprises. Il m’arrive d’être sollicité pour rendre un avis – j’ai par exemple été entendu par une commission du ministère de la Justice sur la réparation du préjudice corporel ou par le ministère des transports – mais je ne suis jamais à l’initiative. La proactivité est en effet l’un de critères retenus pour caractériser l'exercice d'une activité de représentant d'intérêts [lire l’encadré ci-dessous]. » « Tout juriste d’entreprise peut collaborer avec la sphère publique et être le porte-parole de sa société, assure Béatrice Oeuvrard, responsable affaires publiques chez Facebook. A minima, il doit être en veille pour alerter en interne sur les sujets qui peuvent impacter son entreprise. Puis pourquoi ne pas se saisir de la problématique, se positionner en amont pour mettre en place une smart regulation, agir pour ne pas avoir une loi déconnectée de la vie des affaires. La capacité du juriste d’entreprise à vulgariser les sujets techniques associée à sa maîtrise des dossiers en fait un interlocuteur de choix. »
ET CONCRÈTEMENT ?
Pour apporter votre pierre à l’édifice législatif, il est donc possible, d’une part, de répondre aux sollicitations publiques et, d’autre part, à titre accessoire ou ponctuel, de contacter des membres du gouvernement, d’un cabinet ministériel, des parlementaires ou leurs collaborateurs, des collaborateurs du président de la République, et autres responsables d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique…
« Chez Uber, nous interagissons principalement avec les autorités publiques, notamment lorsqu’elles nous invitent à partager notre expertise, déclare Riccardo Falconi, directeur juridique pour les affaires européennes de la société. Nos problématiques concernent dans une moindre mesure les parlementaires car les sujets nous concernant sont plutôt traités par le gouvernement. Dans tous les cas, il faut savoir prioriser les ressources disponibles par rapport aux sollicitations et sujets sur lesquels se positionner. Mais, toujours en agissant avec transparence, il n’est pas dans notre philosophie d’avancer cachés. » Pour sa part, Béatrice Oeuvrard recommande de se rapprocher des associations interprofessionnelles qui sont un très bon lien entre les professionnels et les représentants publics. « Plus on élargit son cercle, plus on s’oxygène, plus on est créatif, estime-t-elle. L’union fait la force quand il s’agit d’avoir un impact sur une législation future. Une loi étant rarement faite pour une seule entreprise, il est donc possible de trouver des alliés dans son écosystème. »
Outre le contact direct avec les professionnels précédemment évoqués, un éventail d’outils sont à votre disposition pour faire passer vos messages : de la "porte étroite" devant le Conseil constitutionnel aux observations devant les organismes consultés par le gouvernement sur un projet de texte comme le Conseil d’État. D’autres, à l’image de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), peuvent être mobilisés une fois la législation en vigueur.
Au niveau européen, la manière la plus courante de procéder consiste à répondre à une consultation publique émise par la Commission. « Mais, ces consultations sont des procédures lourdes avec un calendrier contraint, signale Riccardo Falconi. Les travaux demandés sont plus structurants, plus prospectifs, plus sur le long terme que ceux demandés au niveau national. Si bien que souvent nous ne participons pas directement, faute de temps et de ressources, mais privilégions plutôt la contribution indirecte par le biais d’associations sectorielles. Tous ces outils sont utiles à un moment ou à un autre et contribuent à la création du droit, en amont ou en aval. Par le passé, quand le dialogue avec le gouvernement était plus compliqué, il nous est arrivé d’activer le levier contentieux comme la QPC. La haute juridiction nous a notamment donné raison quant à notre politique de tarification. La QPC permet également de rouvrir le débat politique sur l’aspect concerné de la loi en question, le plus souvent d’ailleurs dans un contexte plus informé, voire apaisé. Mais, il ne faut pas être pressé… En revanche, la "porte étroite" est pratique mais par définition un outil utilisé "à l’aveugle" : on ne sait pas vraiment quel sort est réservé à l’avis qui a été communiqué. Parfois enfin, le mieux est l’ennemi du bien. De sorte qu’il est préférable de ne pas alimenter un débat déjà trop confus et d’attendre que les choses se tassent ! » Philippe Mettoux ajoute : « il est également possible de se positionner sur des sujets dans la presse. Un autre canal peut s’avérer utile pour faire passer des messages : les avocats. »
AFFAIRES PUBLIQUES, Y AVEZ-VOUS PENSÉ ?
Par ailleurs, certaines entreprises peuvent aussi compter sur les actions spécifiques de leur département affaires publiques. « Chez Uber, la direction des affaires publiques est en relation avec les institutions publiques, les associations et think tanks, alors que la direction juridique va plutôt être en lien avec les différentes autorités sectorielles et effectuer un travail de veille, d’analyse et de recommandations, explique Riccardo Falconi. Nous travaillons en tandem. Par exemple, il n’est pas rare que les juristes d’entreprise participent avec les affaires publiques aux réunions avec les ministères pour apporter un éclairage juridique. »
D’ailleurs, les affaires publiques peuvent constituer une bifurcation professionnelle intéressante et naturelle pour les juristes d’entreprise. « La technicité et l’expertise du juriste sont des atouts pour travailler dans ce secteur », fait savoir Béatrice Oeuvrard qui parle en connaissance de cause. Précédemment juriste senior chez Microsoft, elle vient d’être recrutée par Facebook en tant que responsable des affaires publiques.
« En collaboration étroite avec le service affaires publiques de Microsoft, j’ai progressivement commencé à m’intéresser et à m’impliquer dans ce domaine, témoigne-t-elle. Et j’y ai pris goût, au point de souhaiter m’y investir pleinement dans un poste dédié. Responsable des affaires publiques chez Facebook consiste à être son porte-parole auprès des autorités, des institutions et des parlementaires dans un but pédagogique en premier lieu. L’idée est de faire comprendre notre philosophie, nos valeurs, notre fonctionnement et nos problématiques. Le public et le privé doivent pouvoir, en toute transparence, se parler et travailler ensemble pour atteindre un but commun : des règles pertinentes et adaptées à la réalité du terrain utiles à nos utilisateurs et plus globalement aux citoyens. »
Pour réussir dans ce poste, outre l’expertise inhérente à tout juriste d’entreprise, des qualités relationnelles et de communication, des capacités de synthèse et de créativité sont requises. « Les juristes sont en concurrence avec des profils de communicants, constate Béatrice Oeuvrard. Or, la dimension communication peut s’apprendre et se cultiver : il est plus difficile d’acquérir le volet expertise. C’est pourquoi les juristes, en tant que techniciens qui savent vulgariser, expliquer, argumenter, comprendre les différentes parties prenantes du business, sont des candidats tout à fait pertinents. Les affaires publiques sont une voie méconnue des juristes. C’est fort dommage car c’est un métier très enrichissant ! »
LE REPRÉSENTANT D’INTÉRÊTS AU REGARD DE LA LOI Sont notamment considérés comme des représentants d’intérêts les personnes morales de droit privé dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale (moitié de son temps dédié sur une période d’au moins six mois) ou régulière (plus de dix actions de représentation d’intérêts menées sur 12 mois) d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire en entrant en communication avec un certain nombre de responsables publics. Précision importante, ces communications (rencontre physique, conversation téléphonique ou par vidéo-conférence, courrier, email…) doivent être à l’initiative du représentant d’intérêts. Ainsi, les communications qui se déroulent dans le cadre d’une audition organisée à la demande d’un responsable public, d’un groupe de travail créé par une administration ou d’un organisme consultatif ne sont pas considérées comme des actions de représentation d’intérêts. Les représentants d’intérêts ont obligation de : - s’inscrire sur le répertoire public numérique tenu par la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique), - respecter des règles déontologiques, - déclarer chaque année à la HATVP le contenu de leurs activités. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter le site de la HATVP où sont notamment publiées ses les lignes directrices.