L’activité de médiateur est-elle faite pour vous ?

Par Carine Guicheteau

Du fait de leur connaissance du fonctionnement de l’entreprise et la compréhension des contraintes des parties, les juristes d’entreprise se positionnent comme d’excellents médiateurs ! « L’expertise juridique conjuguée à leur expérience en entreprise peuvent apparaître comme des plus-values rassurantes pour les parties au moment du choix de leur médiateur », estime Pierre Charreton, fondateur du cabinet de conseil PCC, président d’honneur de l’AFJE, et médiateur agréé par le CMAP. Néanmoins, dans les faits, « les compétences juridiques sont assez secondaires pour un médiateur, prévient François Pinon, directeur juridique groupe et secrétaire du conseil d’AccorHotels, administrateur de l’AFJE, et médiateur agrée par le CMAP. Elles peuvent même constituer un handicap si le médiateur ne sait pas s’en départir car son rôle n’est pas de conseiller une partie, d’évaluer les responsabilités au regard d’une règle de droit ou de trancher un litige. Le but n’est pas non plus de diriger les parties vers la solution qui lui paraît la plus appropriée. Le médiateur n’est qu’un tiers qui doit amener les parties à coconstruire leur propre solution. » Sophie Henry, déléguée générale du CMAP (Centre de médiation et d’arbitrage de Paris), ajoute que « la position de médiateur est parfois difficile à endosser pour certains sachants. Les techniques de la médiation sont plus faciles à maîtriser que la posture ! » Caroline Sandler-Rosental, ex-juriste d'entreprise aujourd'hui avocate au sein du cabinet RSC Avocat et médiateur agrée par le CMAP, va plus loin : « pour un juriste, être médiateur requiert un positionnement intellectuel inhabituel : il faut arriver à se "déprogrammer" et à laisser le rôle de conseil juridique aux avocats ou aux juristes d’entreprise qui accompagnent les parties. »


DES QUALITÉS PERSONNELLES ET DES CONNAISSANCES TECHNIQUES
L’activité de médiateur ne sied pas à tout le monde. Écoute, empathie, bienveillance, aisance relationnelle, capacités d’observation, d’analyse et de synthèse, neutralité, autorité naturelle, sang-froid, intuition… Autant de qualités et de compétences dont doit faire preuve le médiateur pour débloquer des situations conflictuelles, restaurer le dialogue et faire émerger des solutions élaborées par les parties.
« Un médiateur doit irradier des ondes positives, impulser une dynamique, communiquer son optimisme quant à l’issue des discussions », détaille Caroline Sandler-Rosental. Certaines dispositions, comme l’indépendance, l’impartialité, la neutralité et la loyauté, sont gravées dans le marbre de la déontologie qui s’applique à la médiation. Ainsi, le médiateur s’interdit notamment "d’accepter une médiation avec des personnes avec lesquelles il a des liens d’ordre privé, professionnel, économique, de conseil ou autre", selon le code national de déontologie du médiateur. « Pour un salarié qui exerce la médiation à titre occasionnel, ces notions peuvent s’avérer contraignantes  », informe François Pinon qui a déjà été obligé de décliner des propositions de médiation du fait de sa connaissance de l’une des parties. « Le médiateur doit être capable d’arrêter une médiation si les conditions ne sont pas remplies, signale pour sa part Caroline Sandler-Rosental. Par exemple, s’il estime qu’une partie tente par ce biais de faire traîner la situation plutôt que de chercher activement à résoudre le litige qui l’oppose à l’autre partie. »
« Le médiateur ne doit pas non plus aller plus vite que la musique, recommande Pierre Charreton. Les parties doivent d’abord faire le deuil de leur litige avant de renouer le dialogue et d’échanger en vue de trouver une solution satisfaisante. La médiation ne s’improvise pas et repose sur une méthodologie et le respect d’étapes, avec notamment des respirations. »
Les techniques utilisées par le médiateur en médiation conventionnelle ou judiciaire (lire l’encadré ci-contre) ne sont pas différentes. « La méthodologie permettant d’aider des personnes à débloquer leur communication et à résoudre leurs différends reste la même dans les deux cas, indique Caroline Sandler-Rosental. Néanmoins, dans la médiation judiciaire, le cadre est plus contraignant (délais…). »
L’ensemble des techniques, comme la reformulation ou le questionnement, et des mécanismes à mettre en œuvre peut être acquis lors d’une formation. « La formation n’est pas obligatoire, car la médiation n’est pas une profession réglementée, mais elle me paraît indispensable », indique Pierre Charreton. La certification ne l’est pas plus mais elle rassure les parties. Formations et certifications sont dispensées par différents acteurs. La formation du CMAP, par exemple, dure sept jours et la certification, relativement exigeante, est constituée d’une épreuve écrite à base de QCM et d’une mise en situation dans le cadre d’une médiation fictive. « Nous exigeons par ailleurs 10 ans d’expérience, confie Sophie Henry. C’est un minimum pour disposer du recul nécessaire sur les enjeux des conflits et gagner la confiance des parties. » Par ailleurs, les médiateurs doivent continuellement se former et entretenir leur pratique.


AUCUNE CONTRE-INDICATION LÉGALE POUR LES SALARIÉS
Enfin, être médiateur demande une certaine disponibilité et du temps. Si une médiation dure dans la majorité des cas entre 10 et 19 h selon le CMAP, elle demande un peu plus de temps au médiateur qui se doit de préparer la médiation (lecture du dossier, prise de contact avec les parties…), d’assurer une certaine logistique pour organiser les réunions avec les parties (réservations de salles, échanges d’emails…) et de gérer le reporting. « Le temps de préparation est très variable d’un médiateur sur l’autre, selon s’il souhaite ou non bien connaître le dossier avant de rencontrer les parties, signale François Pinon. La disponibilité n’est pas un obstacle insurmontable pour un juriste d’entreprise. Il faut compter quelques demi-journées étalées sur deux ou trois mois. Par ailleurs, le médiateur a toute latitude pour choisir les créneaux de médiation qui lui conviennent. »
Mais pour un salarié à plein temps, comment se débloquer du temps ? François Pinon a informé sa direction de son souhait de devenir médiateur. Requête qui lui a été accordée. « Dans la mesure où je pratique cette activité sur mon temps de travail, c’est mon entreprise qui facture les parties, tient à préciser le directeur juridique groupe d’AccorHotels. C’est une activité gratifiante et très enrichissante professionnellement. Cette expérience me sert énormément dans mon métier de directeur juridique ! Je la recommande à tout juriste d’entreprise qui en ressent l’envie mais il faut être transparent avec son employeur. La question de la rémunération doit être clairement évoquée et tranchée. » François Pinon préconise également de s’adosser à un centre de médiation. « Exercer en indépendant peut être lourd et hasardeux », estime-t-il. En effet, un centre de médiation se positionne comme un apporteur d’affaires, assure l’interface entre les parties et le médiateur en ce qui concerne la facturation, propose des formations ou encore de salles de réunion…
Sachez que le médiateur doit se doter d’une assurance responsabilité civile. Assurance qui peut être négociée et fournie par le centre de médiation.

 


Publié le 04/06/2019


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