Le temps du droit et des juristes est bien là
Chères amies, chers amis,
Ce n’est pas un jour comme les autres.
Bien sûr, il y a, avant tout, le plaisir de vous retrouver toutes et tous, en chair et en os. En vrai ! C’est notre premier grand événement public depuis deux ans. C’est une joie de se voir sans filtres ni écrans entre nous. Bonne nouvelle, le metaverse attendra encore un peu. Aujourd’hui, pas d’avatars ici. Que des visages amis !
Ce n’est pas un jour comme les autres, ensuite, car pour moi c’est le début de la fin ! Rassurez-vous, rien de grave ; juste l’immense plaisir de céder dans un instant la parole au nouveau président désigné de l’AFJE, Jean-Philippe Gilles, qui me succédera dès mon mandat terminé dans quelques temps. Je suis heureux d’avoir proposé Jean-Philippe au Conseil d’Administration qui l’a élu à l’unanimité pour me succéder tant il incarne l’ADN de l’association. Au début, il y a sa connaissance intime de ses rouages, son engagement constant pour les Régions, les commissions, et le quotidien de la vie de notre organisation. Il y a surtout sa vision de notre profession, une vision moderne que nous partageons. Rien que cela faisait une évidence. Au-delà, surtout suis-je tenté de dire, il y a l’homme. Nous nous connaissions déjà bien depuis des années et puis ces derniers mois, nous avons renforcé nos liens en travaillant d’arrache-pied sur le dossier de la confidentialité des avis des juristes. Ensemble nous avons multiplié les réunions avec toutes celles et tous ceux qui en interne sont engagés sur ce dossier, parfois sans heures et sans week-end. Et puis, il y a eu le plaisir de découvrir un ami. Peu de mots pour le dire. L’essentiel est ailleurs. Alors pas de doutes à l’heure du choix : Jean-Philippe, qui sera le premier président de l’AFJE issu des Régions, est l’homme de la situation pour porter loin l’avenir de notre profession. Il en a l’ambition.
Avant de passer la main d’ici quelques temps, je veux déjà vous dire à quel point toutes ces années à la présidence de l’AFJE auront été des moments intenses, rares. Certes, une présidence marquée par une pandémie que même les meilleurs juristes n’avaient pas anticipés malgré l’aide des legaltech. Je dois l’avouer, ce ne fut pas l’exercice le plus simple pour mettre en œuvre nos projets sur l’ensemble du territoire mais pourtant, nous avons réussi ensemble de formidables avancées comme cela vient d’être détaillé par la dream team du bureau au cours de notre Assemblée Générale. Je ne reviendrai pas sur le détail de ces actions. Je soulignerai simplement, encore une fois, combien l’AFJE a grandi, forte de ses 7000 membres et s’est imposée comme l’organisation représentative de tous les juristes en France mais aussi français exerçant à l’étranger. Nous avons créé 5 délégations régionales au cours de ces 3 dernières années. La 19ème l’a été il y a quelques jours seulement. Cette implantation sur tout le territoire national, dans tous les secteurs, toutes les tailles d’entreprises, c’est une des forces de l’AFJE et nous pouvons en être fiers. Comme nous pouvons l’être de notre présence à Bruxelles et de la présidence de l’ECLA. Ces succès traduisent le travail du Conseil d’Administration et du bureau dans la continuité des présidences successives que je tiens à saluer avec la présence au premier rang de mes amis Jean-Charles Savouré, Hervé Delannoy, et bien sûr Stéphanie Fougou avec qui nous avons fait la paire pour imaginer de beaux projets dont les Grenelle du Droit qui resteront des moments forts et qui vont revenir ! Rien de tout cela ne serait possible si nous n’avions pas également une équipe administrative remarquable : Anne-Laure, Coralie, Charlotte, Diatou, Aurélie et nos stagiaires.
Alors oui, j’ai été heureux d’assumer cette fonction et, pourquoi le taire, ce n’est pas facile de la quitter bientôt. Et si la mélancolie pointe, il suffira pour l’écarter de se rappeler que l’AFJE est et reste avant tout une formidable aventure humaine !
Vous êtes formidables ! Merci, merci, merci à vous toutes et tous !
Ainsi, l’AFJE accompagne la transformation du rôle du juriste d’entreprise, sa profonde mutation : un juriste expert, partenaire du business et stratège, un juriste innovateur, entrepreneur, anticipateur et créateur de normes. Le juriste appartient à une profession en pleine croissance qui avec les autres acteurs du droit représente un réel poids dans notre modèle économique et social. Selon l’étude réalisée par le Professeur Deffains, pour le compte de l’AFJE et du Cercle Montesquieu, si l’on considère tous les professionnels du droit, on en dénombre 361 213 soit 1,25 % de la population active. Le chiffre d’affaires des professionnels du droit est de 44,8 milliards d’euros soit 1,8 % du PIB. Les entreprises disposent aujourd’hui en moyenne de 10 juristes par milliard de chiffre d’affaires, contre 7 en 2013. Aujourd’hui, trois sur quatre des juristes d’entreprise sont membres des Comex, et 75% des adhérents de l’AFJE travaillent d’une façon ou d’une autre avec l’international.
Nul n'en doute plus, le juriste d’entreprise devient une figure centrale de l’entreprise conquérante aux prises avec la complexité du droit et sa globalisation, avec les exigences éthiques et de responsabilité sociale traduite par un choc de conformité, avec les pressions contentieuses. Les entreprises qui réussiront sont celles ayant intégré le droit comme outil déterminant et stratégique de leurs actions y compris dans la compréhension et la structuration des marchés.
Les juristes d’entreprise peuvent être fiers d’exercer ce si beau métier !
Sur ce chemin de l’affirmation du juriste et du droit dans la société et l’économie, il y a l’AFJE donc et aussi toutes les organisations et institutions avec lesquelles j’ai apprécié travailler en bonne intelligence pour bâtir une vision commune au-delà de certaines différences, parfois divergences très vite réduites aux acquêts par un attachement conjoint à l’Etat de droit. Un grand merci, dans le désordre de ma mémoire, aux amis du Cercle Montesquieu, à ceux du CNB, de l’Ordre de Paris, de la Conférence des Bâtonniers, de l’ACE, de Paris Place de Droit et tant d’autres... Ce mandat m’aura aussi permis d’échanger intensément avec les pouvoirs publics et en particulier avec les cabinets du Président de la République, des Premiers Ministres successifs et avec les Ministres de la Justice, Mme Nicole Belloubet et Mr. Eric Dupont-Moretti, sans oublier le Ministère de l’Economie et de nombreux parlementaires dont M. Raphaël Gauvain qui a si bien compris les enjeux d’un droit offensif.
Ce n’est pas un jour comme les autres car au-delà des remerciements, il y un hommage que je veux rendre à un homme qui nous manque. A cet instant, je pense à Olivier Cousi. Pendant cette période, Olivier fût un partenaire, un interlocuteur plein d’écoute, attaché à l’Etat de droit, aux libertés, à l’intérêt général, soucieux de dégager des consensus utiles. Au-delà, c’était un homme fort de sa simplicité et de son humanité. Je garde son sourire en mémoire ; cette lumière discrète disait tout. Tu aurais été là ce soir et tu aurais aimé nous voir toutes et tous ensemble. Amitié pour toujours Olivier !
Ce n’est pas un jour comme les autres, enfin, car pour la première fois dans son histoire, l’AFJE et les juristes d’entreprise reçoivent après avoir invité les candidats à l’élection présidentielle, leur représentant pour parler de droit et justice. Merci à vous toutes et tous d’avoir répondu positivement. C’est important. Toutefois, avant d’aborder la plateforme présidentielle de l’AFJE, je veux m’arrêter sur la tragédie qui s’impose désormais à nous. Ce soir aussi. L’invasion de l’Ukraine, la guerre en Europe, à deux heures de cette salle. Les atrocités dont nous sommes témoins en direct, auxquelles nous assistons submergé par l’impact d’une immédiateté inconnue jusque-là. Les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les drames humanitaires que nous voyons, ne peuvent pas nous laisser indifférents. Les démocraties cherchent une réponse, sanctionnent, aident l’Ukraine, accueillent les réfugiés. Cela arrêtera-t-il Poutine et ses complices ? Difficile de l’affirmer.
Puisque nous sommes réunis ce soir pour parler du rôle du droit, nous devons bien nous demander si celui-ci peut être un des éléments de réponse à la barbarie présente ? Pour ma part, j’en suis convaincu !
Permettez-moi ici un souvenir.
Il y a 12 ans, j’étais à Phnom Penh. Là-bas, j’ai pu assister à des audiences du Tribunal spécial pour juger les crimes des Khmers Rouges. Ces jours-là, j’étais assis dans la vaste salle d’audience pour écouter des témoignages dans le procès de Douch, l’ancien chef du terrible camp S 21. Certes, ce Tribunal spécial a été critiqué mais je garde en mémoire tous ces cambodgiens autour de moi, des gens à l’apparence modeste, certains venus de loin sûrement. Ils écoutaient attentivement et j’ai vu combien le droit était un outil puissant pour aider à dire l’indicible, pour faire émerger la vérité même pour les tragédies les plus horribles et engager la réconciliation des peuples tout en punissant les pires criminels. Et ceux-là, bourreaux de leurs semblables, doivent savoir qu’ils ne pourront pas échapper au droit car il n’y a pas de paix sans justice. J’ai eu l’immense chance de travailler auprès de Robert Badinter sur la Cour Pénale Internationale et je garde en mémoire sa conviction qu’il est essentiel que les criminels contre l’humanité sachent qu’ils ne seront jamais tranquilles, où qu’ils se trouvent, tant que la justice ne sera pas passée. C’est vrai pour Poutine !
Alors oui le droit est un élément de réponse à ce moment de l’histoire et comme le disait Mirabeau, « Mars est notre tyran, mais le droit est le souverain du monde ».
Voilà pourquoi, nous avons, encore et toujours, besoin du droit. Voilà pourquoi la promotion et la défense de l’Etat de Droit est si importante aujourd’hui comme hier.
Peut-être même plus aujourd’hui qu’il y a quelques années. Pourquoi ? Parce que le monde change et que cela entraine des bouleversements de la société.
C’est pourquoi, l’AFJE a souhaité placer le droit au cœur de l’élection.
Notre plateforme présidentielle est née de ce constat d’un besoin d’Etat de droit renouvelé.
Qui peut douter que le besoin de droit souffle sur notre société fragmentée dont une partie se trouve en état de défiance vis-à-vis des institutions ? L’Etat de droit est sous attaque. La tentation illibérale se manifeste chez nous aussi et certains osent professer - en 2022 ! - la « pétainisation des esprits ». Ne perdons pas conscience que la démocratie mérite une vigilance de tous les instants et que la préservation de l’Etat de droit exige plus que le confort émollient de l’indifférence.
Qui peut nier qu’il y a urgence à penser les droits des générations futures en répondant aux défis des bouleversements en cours liés à la révolution industrielle numérique et au changement climatique ?
Cette transformation du monde pose des questions vertigineuses telles celles liées au développement de l’intelligence artificielle ou aux cybermenaces. Nous voyons se dessiner de formidables opportunités d’émancipation individuelle et collective. En même temps, s’exacerbent les ressentiments de ceux qui sentent leur destin s’abîmer, s’angoissant de ne pas avoir de place dans ce « meilleur des mondes ». Ce tech-paradoxe nourrit les récits contre-révolutionnaires. Rapports sociaux, économiques et géopolitiques sont traversés de tensions inédites décuplées par l’affaiblissement des médiations anciennes. Au même moment, le changement climatique nous confronte à l’impensé de notre finitude et oblige à ne plus tergiverser. Face au risque d’une croissance technicienne dirigeant seule le politique, le droit est un outil déterminant pour penser les nouvelles régulations favorisant un progrès responsable. Le droit peut aider à maîtriser la Technique et la mettre au service de nos valeurs humanistes ; écartant ainsi la crainte d’une obsolescence de l’Homme. Faciliter les innovations durables suppose de définir un ordre juridique qui assure cohérence et créativité, rigueur et fluidité, démocratie représentative consolidée et implication des parties-prenantes.
Le droit, véritable force créatrice et inclusive, peut contribuer efficacement à l’encadrement positif de la société du changement climatique et de la transformation digitale.
En effet, comme souvent dans ces moments de profonds changements, le droit peut alors jouer un rôle clé pour redéfinir les équilibres et harmoniser les situations. Ainsi, entre les XIVème et XVème siècles, notre pays encore en devenir est déjà en crise : l’économie rurale et féodale passe à une économie d’argent et des villes, des révoltes paysannes éclatent, les nobles se dressent contre le roi, on assiste à la nationalisation des conflits armés au lieu d’affrontements entre troupes seigneuriales, l’Eglise s’emmêle avec des schismes et des problèmes de légitimité de papes, de papes et anti-papes… Pour répondre à ces tensions multiples, Jacques Ellul a montré que le pouvoir royal s’est appuyé sur la communauté montante des juristes, qui pour sa part va constituer petit à petit une unité de corps qui institue le droit comme outil de cohérence. Le droit va permettre de résoudre les tensions sociales en s’adossant à l’écrit, notamment pour fonder des accords pérennes, et non plus seulement sur les coutumes ou l’oralité. Le droit adossé à la communauté des juristes apparait tel un réducteur de crise et joue ainsi souvent un rôle de médiation renforcé entre le corps social en mutation et le pouvoir.
A cet égard, que ce soit au plan national, européen ou international, l’Etat de droit reste une ambition toujours à parfaire, indispensable à renforcer dans les périodes de mutations profondes et particulièrement quand les questions existentielles nourrissent nos incertitudes et scandent notre futur. C’est la continuation à distance d’époque de l’affrontement entre Hobbes et Locke. Hobbes a d’abord gagné. Devant la peur de la mort, les peuples ont été convaincus d’abandonner leurs liberté naturelles et d’accepter la construction d’un Etat qui leur apporterait la sécurité physique. Musique connue : la sécurité en échange des libertés, tel pourrait être une des origines du contrat social-étatique. Mais Locke a continué le combat. Puisqu’Etat il y a, il faut au moins qu’il reprenne à son compte les libertés que les hommes avaient à l’état de nature, qu’il garantisse leur libre exercice, qu’il les concilie avec l’attente de sécurité. Ainsi, au fil du temps et parfois des révolutions, les peuples ont fixé des limites à l’Etat en soi et pour soi, l’Etat Hobbesien où l’on abandonnerait notre Liberté pour prix de la protection d’un souverain sans limite. Equilibre qu’exprime si bien l’article 16 de la Déclaration de 1789 quand il énonce que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
C’est la raison pour laquelle nous avons pensé notre plateforme comme un récit pour faire du droit un outil au cœur de la transformation de nos sociétés avec les juristes pour architectes d’une société de confiance !
En effet, qui peut ignorer que les juristes et les entreprises sont au premier rang de cette révolution à l’œuvre ? Entreprises et juristes jouent et vont à jouer un rôle de plus en plus important dans la société et dans l’économie. On le voit déjà avec les transferts que l’Etat opère pour la mise en œuvre de l’intérêt général d’où s’ensuit une hybridation du droit avec des normes privées qui enrichissent ou complètent les normes publiques. Le droit de la conformité y compris la protection des données personnelles, la RSE, le devoir de vigilance, les critères ESG en sont quelques-unes des illustrations les plus évidentes. Les acteurs économiques, privés et publics, sont désormais des sources du droit. C’est en évolution importante. Alors qu’en France nous vivons dans une tradition légicentriste, il faut rappeler que le droit ce n’est pas que la loi ou le décret. Ce sont aussi les principes constitutionnels, les traités internationaux, les contrats, la jurisprudence, le droit souple, et demain peut-être du droit embarqué dans des algorithmes. Les changements qu’impliquent la révolution industrielle en cours obligent à appréhender le droit dans toutes ses dimensions pour anticiper et s’adapter constamment. Notre profession occupe, à cet égard, une place stratégique dans la vie de la cité, dans l’entreprise et dans la mise en œuvre de l’intérêt général.
Aussi, il est de notre devoir de défendre une vision ambitieuse et moderne du droit français, loin de toute logique de politique partisane ou corporatiste ; un droit créatif et protecteur.
Aujourd’hui plus que jamais, c’est une nécessité.
Parce que le droit est un outil indispensable pour la cohésion de la Nation. Sans Etat de droit fort et respecté, il est vain de prétendre à la promesse de notre devise républicaine, liberté, égalité, fraternité.
Nos concitoyens y sont attentifs ; ils l’exigent.
Parce que le droit est aussi un atout de compétitivité et d’attractivité pour l’économie, des grands groupes aux PME, et les investisseurs.
Nous proposons ainsi 5 idées pour 5 ans :
- La compétitivité du droit français
- Pour un code européen des affaires
- Une fabrique moderne de la loi
- Un service public de la justice ambitieux
- Le Droit au cœur de la République
Rassurez-vous, je ne vais pas détailler nos propositions. Vous pouvez les lire, vous en emparez, les compléter et les faire vivre.
Je me contenterai, avant de conclure, de souligner l’importance de la compétitivité de notre économie et de nos entreprises - en plein Brexit et alors que la globalisation ouvre des nouveaux champs de frictions et que joue la rengaine du repli protectionniste. Cela exige que le droit et le système juridique français placent nos opérateurs économiques au moins sur un pied d’égalité avec leurs concurrents. Pas de surprise donc à ce que nous portions la nécessité de reconnaitre la confidentialité des avis des juristes d’entreprise à l’instar des autres grandes économies libérales. Soyons clairs : pas de rapports supplémentaires car les armoires en sont pleines et ils disent tous la même chose. A savoir : plus de blabla, des actes ! Ce serait un bon moyen, et à coût nul pour les finances publiques, de servir concrètement la cause de la souveraineté économique !
Ensuite, il importe de rappeler qu’il n’y a pas d’Etat de droit fort sans service public de la justice fort. La mobilisation inédite des magistrats et greffiers, soutenue par les juristes d’entreprise et les avocats le dit : les moyens du service public de la justice doivent être relevés au moins au même niveau que ceux des grandes démocraties. En parallèle, au nom de l’indépendance de la justice, il convient qu’aboutisse la révision constitutionnelle sur la nomination des procureurs. Une justice de qualité participe de la force du droit dans l’esprit des citoyens ; c’est aussi un critère de compétitivité économique et d’attractivité du droit y compris de son exportation dans le cadre de l’arbitrage. Parallèlement, il convient de donner une priorité à la qualité du droit passant par une grande simplification. L’engorgement des juridictions trouve aussi sa source dans une réglementation bavarde et complexe. Puisque les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, il est temps d’en finir avec l’insécurité juridique née de l’obésité normative. La fabrique du droit doit être enfin modernisée, d’où nos idées sur le renforcement des études d’impact et de leurs conséquences, ou bien la limitation de l’initiative législative sur certains textes déjà modifiés au cours de la législature.
Par ailleurs, il y a cette idée ambitieuse d’un code européen des affaires portée conjointement avec l’Association Henri Capitant et la Fondation pour le Droit Continental. Nous privilégions pour notre part une approche pragmatique en se concentrant sur des sujets de consensus et notamment pour les PME comme le projet de Société Européenne Simplifiée et l’harmonisation des règles existantes par une codification du droit valant simplification. Inutile de souligner que cela suppose que la primauté du droit européen demeure une des clefs de voûte de l’Union Européenne, encadrée par le dialogue des juges dès lors que des questions constitutionnelles sont en cause. Pourtant, alors que la Cour de Justice de l’UE vient de valider le mécanisme de conditionnalité liant le versement des fonds européens au respect de l’Etat de droit, certains candidats prônent un retour en arrière par la modification de l’article 55 de la Constitution en proposant que la loi ordinaire puisse remettre en cause chaque acte de l’Union européenne. Ce serait le « Frexit », un Frexit larvé mais un Frexit. Une promesse de désordre et de tensions dont les citoyens et les entreprises pâtiraient chaque jour. Au-delà de l’adieu au marché intérieur, ce serait le renoncement à une Europe puissante et souveraine capable de répondre aux enjeux immenses qui se dressent devant nous.
Enfin, je gardais l’essentiel pour la fin : il faut placer le Droit au cœur de la République ! Nous avons besoin de renforcer l’éducation au droit, en faire un commun dans toute la société, pour tout un chacune et chacun. Ce doit être notre langue commune, notre vocabulaire républicain.
A l’instant de dire au revoir, je ne résiste pas à l’évocation d’un passage de Crainquebille, conte génial d’Anatole France. Crainquebille, ce marchand ambulant que l’Agent 64 accuse à tort d’avoir crié « Mort aux vaches ». Malgré tous les témoignages des gens de bien en sa faveur, il est condamné : « En procédant de cette manière, le président Bourriche s’assure une sorte d’infaillibilité, et la seule à laquelle un juge puisse prétendre. Quand l’homme qui témoigne est armé d’un sabre, c’est le sabre qu’il faut entendre et non l’homme. L’homme est méprisable et peut avoir tort. Le sabre ne l’est point et a toujours raison ».
Crainquebille en prison, sur son escabeau enchaîné, s’assoit « plein d’étonnement et d’admiration. Il ne savait pas bien lui-même que les juges s’étaient trompés. Le tribunal lui avait caché ses faiblesses intimes sous la majesté des formes. Il ne pouvait croire qu’il eût raison contre des magistrats dont il n’avait pas compris les raisons : il lui était impossible de concevoir que quelque chose clochât dans une si belle cérémonie. Car, n’allant ni à la messe ni à l’Elysée, il n’avait de sa vie, rien vu de si beau qu’un jugement en police correctionnelle. Il savait bien qu’il n’avait pas crié « Mort aux vaches ». Et qu’il eût été condamné à 15 jours de prison pour l’avoir crié, c’était en sa pensée, un auguste mystère, un de ces articles de foi auxquels les croyants adhèrent sans les comprendre, une révélation obscure, éclatante, adorable et terrible.
Ce pauvre vieil homme se reconnaissait coupable d’avoir mystiquement offensé l’agent 64, comme le petit garçon qui va au catéchisme se reconnait coupable du péché d’Eve. Il lui été enseigné, par son arrêt, qu’il avait crié « Mort aux vaches ! ». C’était donc qu’il avait crié « Mort aux vaches ! » d’une façon mystérieuse, inconnue de lui-même. Il était transporté dans un monde surnaturel. Son jugement était son apocalypse. »
C’est un conte ironique et voltairien, et nous savons qu’heureusement rien de tel n’existe plus... En revanche, il est toujours certain que le droit ne doit pas rester le langage mystérieux des seuls sachants. La garantie des droits commence par l’appropriation de la règle de droit par toutes et tous, dès le plus jeune âge. D’où notre proposition qui consiste à rendre obligatoire l’enseignement du droit dès le collège au moins – présomption d’innocence, dignité humaine, principe du contradictoire,… soit donc les traductions concrètes de notre système de valeurs et des principes de la Déclaration de 1789 – et que le droit soit une épreuve obligatoire au baccalauréat toutes sections confondues.
C’est peut-être un détail pour vous, mais pour la République cela veut dire beaucoup !
Décidément, le temps du droit et des juristes est bien là. Soyons fiers de porter cette ambition et cette espérance d’harmonie retrouvée !