Les juristes célèbrent les 60 ans de l'UE

Article des Affiches Parisiennes - http://www.affiches-parisiennes.com/les-juristes-celebrent-les-60-ans-de-l-ue-7118.html 

 

Le 29 mars dernier au Sénat, les juristes parisiens ont célébré, non sans une certaine amertume, les 60 ans du traité de Rome, acte fondateur de l'unique exemple historique d'une fédération d'États issue de l'intégration par le droit.

Avocats, directeurs juridiques, juristes, juges consulaires ainsi que des membres de l'association Paris Place de Droit se sont réunis au Sénat, sous le haut patronage de son président, Gérard Larcher, et du président de sa commission des Affaires européennes, Jean Bizet.

Dans son introduction, Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, a fustigé la période de troubles que traverse l'Union européenne (UE) aujourd'hui avec la multiplication des eurosceptiques, le Brexit et des « débats archaïques basés sur des sujets qui n'en sont plus comme l'euro ».

Pourtant, il s'agit d'un moment clé pour l'UE qui doit faire face à trois problèmes sociaux immédiats : la sécurité, la défense et la question migratoire. C'est d'ailleurs pour cela qu'une immense attente ressort de toutes les études d'opinions sur la manière dont l'UE va évoluer. « Il faudrait ainsi que les grands pays de l'UE se mettent d'accord sur ces trois sujets », explique Jean-Dominique Giuliani.

Ce fervent défenseur de l'Union estime qu'il faut profiter de l'occasion des 60 ans du traité de Rome et des 10 ans du traité de Lisbonne pour faire la promotion du « seul exemple historique d'une fédération par l'intégration par le droit ».

L'apport du droit à la construction européenne

La première table ronde, animée par Thomas Baudesson, avocat membre de Paris Place de Droit, avec un panel varié, s'est concentrée sur la question du rôle joué par les juges nationaux dans la formation du droit européen, donc du socle de l'UE.

Pour Michel Petite, ancien directeur général des affaires juridiques de la Commission européenne désormais avocat, « parmi les éléments du verre à moitié vide, on soulève la question de l'élargissement et de la dilution de l'UE. Toutefois, il faut se garder du ‘‘c'était mieux avant'', car dans les années 1980 la CEE traversait une phase de néant absolu. » Les nouveaux gouvernements intégrés sont plutôt des pro-européens convaincus qui ne posent pas de difficultés dans les prises de décision, contrairement aux États membres fondateurs. Si la vie de l'Union n'est pas linéaire, c'est selon lui la plupart du temps dû à des différends franco-allemands ou à la position atypique du Royaume-Uni.

« Pour le verre à moitié plein, l'UE est une union par le droit et l'adhésion entraîne une communauté de respect de la même loi ». L'approche de Jean Monnet a fonctionné car l'intégration crée la paix. L'avocat se réjouit que les domaines comme les droits fondamentaux et le droit de la consommation soient désormais régis par l'UE.

« L'UE c'est le droit qui remplace la force » Sylvie Goulard, membre de Parlement européen

« Le juge français est devenu fondamentalement un juge européen », explique Jean-Claude Magendie, ancien Premier président de la cour d'appel de Paris, expert au Club des juristes. Le fait établit que les magistrats français se soient emparés du droit européen est « un destin pas si nouveau que ça » selon ce juge, car on retrouve déjà dans les principes du code Napoléon l'ambition de créer un socle commun de droit civil sur le continent.

Sir Michael Tugendhat, juge anglais, revient sur la genèse de l'arrivée du Royaume-Uni dans le marché commun de l'UE et sur la position des magistrats britanniques. « Le droit anglais n'a jamais été insulaire » car les juges l'ont inventé au fil de l'eau en empruntant des principes à notre droit civil et aux coutumes des colonies. D'ailleurs, ils jugent encore certains litiges en droit français, à l'instar de ceux qui viennent de l'Île Maurice ou du Québec. Ce juge établit une grande distinction entre le droit de l'UE - « bénéfique, il n'y a pas de doute » - et le droit européen de la CEDH « qui pose certains problèmes ».

À la question de savoir ce qui va advenir avec le Brexit, Sir Michael Tugendhat est plutôt optimiste et pragmatique. Il explique que le gouvernement britannique propose dans un white paper de conserver le droit européen malgré la sortie de l'Union.

Le débat embraye ainsi sur le Brexit, « un échec collectif européen », selon Sylvie Goulard, députée européenne. Cette dernière souhaite que le Royaume-Uni quitte l'UE sans la modifier, en utilisant l'article 50 du traité de Rome, tout en gardant la possibilité de conclure des accords de coopération commerciaux et de défense « mais pas plus ». « Exit le passporting à Londres », ajoute-elle à propos de l'autorisation d'accès au marché européen. « Il n'est pas dans l'intention des parlementaires de céder sur les droits des Européens », rappelle-t-elle alors que le Parlement va valider l'accord définissant le Brexit. « L'UE c'est le droit qui remplace la force », conclut-elle.

Les 5 scénarios de Bruxelles pour relancer l'Europe

Le 1er mars dernier, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a présenté aux députés européens ses propositions pour l'avenir de l'Union à 27. Dans la perspective du Brexit et pour tenter de surmonter les blocages persistants, il a proposé 5 scénarios, allant du statu quo à un renforcement du fédéralisme en passant par une « Europe à plusieurs vitesses ». Une réflexion qui s'est ensuite accompagnée d'une déclaration commune des 27 dirigeants européens, signée le 25 mars dernier à Rome même, à l'occasion des 60 ans de l'Union européenne.

Le droit européen, un véritable atout économique

La seconde table ronde, animée par Frank Gentin, président de Paris Place de Droit, a montré que même s'il est parfois une contrainte, le droit constitue un avantage économique majeur.

La CCI Paris - Île-de-France est pour le développement du droit européen, mais de façon plus claire, selon Didier Kling son président, venu présenter le point de vue des entreprises. Si ces dernières estiment que le droit européen leur impose des devoirs supplémentaires et des difficultés, elles ne sont toutefois pas contre la création d'un droit européen des affaires. Cependant, elles soulèvent le problème de convergence entre l'approche continentale et l'approche anglo-saxonne, et ont le sentiment que c'est le consumérisme qui domine l'Europe, au détriment de la construction d'alliances et de « création de champions européens ».

Pour Loraine Donnedieu de Vabres, avocat expert au Club des juristes, de nombreuses choses positives ont été faites pour les entreprises européennes sur le plan juridique, telles que le développement de la soft law, des échanges et des coopérations, notamment en droit de la concurrence.

Ce dernier est d'ailleurs qualifié par l'experte de « laboratoire sur le plan de la méthode, avec une application cumulative du droit européen et des droits nationaux ainsi qu'une application alternative ». Elle se dit toutefois, un peu inquiète en tant qu'avocate en matière de sanction des infractions à la concurrence car « on ne fait plus de droit », mais des négociations politiques et économiques.

La présidente de l'AFJE, Stéphanie Fougou, estime que « ce droit de la concurrence est véritablement un succès » puisqu'il est repris ailleurs, notamment en Chine. Toutefois, certaines imprévisibilités demeurent, comme le niveau des amendes dont l'augmentation exponentielle la choque. « Quand on passe d'une dizaine de millions d'euros d'amende pour un cartel à plusieurs centaines quinze ans plus tard pour la même chose, on ne comprend pas tout », fustige-t-elle.

« L'UE est la première puissance commerciale du monde » Didier Kling, président de la CCI-Paris Ile-de-France

François Georges, délégué général du comité français de la Chambre de commerce internationale, estime quant à lui, que la politique de concurrence européenne est bonne « sauf qu'elle empêche de faire des champions mondiaux », ce qui pose problème.

En revanche, il trouve fort dommage que la politique commerciale européenne soit souvent critiquée, alors qu'elle regroupe des millions de consommateurs, ce qui permet de mieux négocier les traités. Selon lui, il est fort souhaitable que les parlementaires réussissent à voter le Ceta et à mener les négociations du Tafta et de l'accord avec Singapour. « La convergence réglementaire permet aux entreprises de devenir plus compétitives et de faire des économies », résume-t-il.

Le professeur de droit Bruno Dondero confirme et ajoute que les entreprises recherchent un cadre simple, ce qui n'est pas encore le cas du droit européen. Il soulève cependant le problème des particularités de chaque droit des affaires. Par exemple, que faire des juges consulaires (spécificité française) si on crée un droit des sociétés européen ?

Il existe déjà un embryon de droit des affaires européen. Pour le moment, la société européenne n'est accessible qu'aux grandes entreprises ce qui n'est pas bon pour l'économie et la compétitivité, selon les juristes d'entreprises. L'AFJE promeut ainsi la création d'une SAS européenne. Didier Kling est en accord sur ce point, car l'enjeu de compétitivité concerne aussi les PME. « L'UE est la première puissance commerciale du monde et ce n'est pas négligeable », rappelle-t-il.

Vers un code européen des affaires ?

L'hémicycle du Parlement européen à Bruxelles © AP

« L'association Henri Capitant a produit un travail complexe qui compile de nombreux textes européens afin de codifier le droit des affaires en Europe », a expliqué Jacques Bouyssou, secrétaire général de Paris Place de Droit. Cet avocat, comme de nombreux confrères, formule le vœu que l'UE puisse envisager de créer un droit des affaires européen par le biais d'un travail de codification. En octobre dernier, Philippe Dupichot, secrétaire général de l'association Henri Capitant, a d'ailleurs présenté aux députés européens ce projet de code.

Côté institution, Emmanuel Edou, président de la Chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, est « fier de l'Europe en tant que juriste ». Il estime que l'UE dispose d'instruments simples pour le règlement des litiges, tels que l'injonction de payer européenne qui permet à n'importe quel créancier d'imposer le payement de sa créance à son débiteur en remplissant un formulaire très simple sur internet. Selon lui, « il y a mieux à faire que de créer une société européenne », très peu utilisée, « mieux vaut développer des outils pour mieux communiquer entre entreprises des États membres ».

« Ce sera toujours avec le droit et par le droit qu'on y arrivera » Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman

En guise de conclusion, Fréderic Sicard, bâtonnier de Paris, a fait des observations sur le rôle des juristes français dans le maintien d'une Europe forte. Il souhaite « rester dans l'équipe du capitaine plutôt que dans celle des passagers qui suivent la direction » et alerte quant au choix de l'élection présidentielle dont la vision européenne est l'élément essentiel. « Il n'y a pas un futur dirigeant de l'Europe qui ne se pose pas la question du droit et des systèmes juridiques », explique-t-il. Le bâtonnier est d'ailleurs fier d'annoncer que de nombreux dirigeants européens « arrivent » pour continuer les débats ouverts avec le barreau parisien en 2016. Frédéric Sicard a ensuite passé la parole au sénateur Jean-Pierre Raffarin, venu conclure la matinée.


Publié le 12/04/2017