Parfois, mieux vaut une médiation (même ratée) qu’un procès (même gagné)

Attaqué en 2012 pour ses activités en Inde, le groupe Michelin a été mis hors de cause par le Point de contact national français (PCN) de l’OCDE. Cependant, cette relative victoire serait sans valeur si le groupe n’en avait profité pour revisiter ses relations sociétales et intégrer le "droit souple" à sa marche courante. Récit de cette médiation.
PAR HERVÉ DEGUINE


À la fin des années 2000, le groupe Michelin, leader mondial du pneumatique, décide de construire une usine de pneus en Inde. Plusieurs sites sont envisagés. Le gouvernement de l’État du Tamil Nadu lui propose de s’installerà Thervoy. Des études d’impact environnemental, social et technique sont conduites. Les résultats sont concluants. Un Memorandum of understanding est signé.
Mais l’encre n’a pas le temps de sécher que, derechef, une ONG française exprime son inquiétude. Elle écrit au président du groupe et lui demande de veiller à ce que les droits des populations locales soient bien respectés. Cela va sans dire, pour une entreprise qui fait du respect des personnes l’une de ses cinq valeurs fondamentales. Un dialogue s’instaure, d’autant plus sérieusement que l’ONG en question n’est autre que le Comité catholique de lutte contre la faim et pour le développement (CCFD), une ONG réputée et influente.
Hélas, à mesure que le projet avance, les accusations et les revendications du CCFD, désormais épaulé par l’association Sherpa et la CGT, ainsi que deux ONG indiennes, prennent de l’ampleur. Désormais, cette coalition exige rien de moins que l’arrêt complet de la construction de l’usine et la réalisation d’une étude d’impact des droits de l’homme. Michelin est à présent accusé d’avoir volé des terres agricoles, détruit une forêt sacrée, pratiqué la discrimination ethnique, réduit les paysans à la misère, le tout sur fond de corruption. Le groupe conteste chacune de ces accusations et propose, pour démontrer leur absence de fondement, de mener ensemble cette étude d’impact des droits de l’homme. Mais, la coalition, radicalisée, décline cette offre et dépose une saisine devant le Point de contact national de la France (PCN).
Stupéfait mais confiant, Michelin décide de coopérer pleinement avec le PCN, lequel mène sa propre enquête de terrain. Finalement, le président du PCN propose la mise en place d’une médiation entre les parties. Mais le CCFD pose une condition préalable : l’arrêt complet du chantier.
Cette exigence, jugée inacceptable par les membres du PCN, fait échouer la médiation. Dépités, les plaignants retirent leur plainte et boycottent le PCN. Cependant, malgré l’absence de plaignants, le groupe demande au PCN d’aller au bout de la procédure et s’engage à mettre en œuvre ses recommandations.

QUELLES LEÇONS TIRER DE CETTE AVENTURE ?
La première est que le "droit souple" (ici, les principe directeurs de l’OCDE) doit constituer un composant important pour l’élaboration de la stratégie des entreprises par ses dirigeants.
Deuxième leçon : même s’il est parfois difficile, le dialogue avec la société civile est plus que jamais nécessaire. Il contribue à la bonne marche de l’entreprise.
Enfin, troisième enseignement : alors qu’un procès aurait entraîné une réaction de prudence et de réserve, cette procédure extra-judiciaire a, au contraire, donné l’occasion au groupe de réfléchir, d’évoluer, d’améliorer ses procédures internes et de former ses cadres au dialogue avec les parties prenantes.

Gagné ou perdu, un procès n’aurait rien apporté au groupe. À l’inverse, de "l’épreuve" du PCN, il est sorti renforcé.

À propos d’Hervé Deguine
Historien de formation, diplômé de Sciences Po et de l’INSEAD, Hervé Deguine travaille chez Michelin depuis 2001.
Il est responsable des relations avec les ONG et les organisations de la société civile.

Publié le 09/05/2018


Rejoindre
l'AFJE